La majorité reviendra-t-elle à la raison ? Ce mercredi 17 novembre offre une dernière chance à la droite de revoir son projet de loi, dit NOME (Nouvelle Organisation du Marché de l’Electricité), avec son retour en seconde lecture à l’Assemblée. Un projet qui, en l’état, ne manquera pas de se traduire par une précarisation énergétique accrue, en plus de fragiliser un secteur pourtant vital.
Chacun connaît les bénéfices du système de production et de distribution d’énergie mis en place dans notre pays, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale – notamment grâce aux efforts et à l’investissement des Français : l’électricité longtemps la moins chère d’Europe, une sécurité énergétique que beaucoup nous envient, et une production électrique qui génère peu de CO2.
Le gouvernement, avec l’appui de sa majorité, s’apprête à remettre en cause les fondements de notre politique énergétique, en poussant plus loin encore la libéralisation du marché. Comment le gouvernement et la droite peuvent-ils ignorer les risques que ce projet fait peser sur nos concitoyens ? La principale disposition du texte contraindra EDF à céder à ses concurrents jusqu’au quart de la production de son parc nucléaire. Conséquence mécanique : un renchérissement du coût de l’électricité pour l’ensemble des usagers. Car l’entreprise publique n’entend pas céder sa production à n’importe quel prix, et réévalue déjà ses tarifs de gros. Le Gouvernement a d’ailleurs profité de l’été pour anticiper sur cette hausse.
Selon les prévisions de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), les tarifs réglementés pour les particuliers, bien qu’officiellement garantis, devraient être progressivement vidés de leur substance et bondir de 7,1 % à 11,4 % dès cette année, pour continuer d’augmenter de 3,1 % à 3, 5 % par an entre 2011 et 2015.
D’autre part, les tarifs réglementés pour les entreprises seront purement et simplement supprimés. Ce qui ne sera pas indolore pour les entreprises dites électro-intensives ; déjà, la SNCF annonce devoir augmenter le prix de ses billets en cas de promulgation de la loi.
En pratique, les tarifs réglementés dont bénéficiaient les particuliers et les entreprises disparaîtront au profit d’une poignée d’opérateurs. Ce projet risque ainsi de toucher lourdement les Français, d’augmenter encore une précarité énergétique galopante et de porter un coup supplémentaire à nos territoires, quand on sait que le prix de l’électricité et la stabilité de ce secteur sont un facteur important de localisation industrielle. Et que dire de cette dépossession d’un bien commun national ?
Ce texte expose en outre la France à une série de risques majeurs, au premier rang desquels celui de défaillances en série de notre système électrique.
Le projet de loi ne comporte en effet, pour les fournisseurs alternatifs, aucune incitation réelle à investir dans de nouveaux moyens de production. Au contraire, telle qu’elle est construite, la loi NOME freinera les investissements dans de nouvelles capacités : EDF n’investira pas si partie de ce coût bénéficie à ses concurrents ; les fournisseurs alternatifs, pour leur part, n’ont aucun intérêt à investir alors qu’on leur offre leur électricité.
Or, les marges aux aléas climatiques et techniques sont d’ores et déjà nulles pour les cinq années à venir. Le coefficient de disponibilité des centrales nucléaires s’est largement dégradé depuis 2006, alors que se profile la nécessité de réaliser des investissements importants pour prolonger la durée de vie des centrales actuelles. Une prolongation de 40 à 60 ans coûterait à elle seule 35 milliards d’euros à EDF d’ici à 2030.
Inéluctablement se dessine une multiplication de coupures d’alimentation pour les consommateurs, l’usure prématurée des matériels de réseaux et de production, et avec elles, un renchérissement des coûts de maintenance pour EDF.
Ni la directive européenne de libéralisation des marchés de l’énergie, ni la solution technique aujourd’hui proposée par ce gouvernement n’offrent de réponse aux véritables défis économiques, sociaux et environnementaux de ce XXIe siècle. Elles témoignent toutes deux d’une parfaite méconnaissance du caractère primordial de l’approvisionnement en électricité.
Assimilée à une simple marchandise par ces textes, elle est pour nous un bien de première nécessité, indispensable. Le seul principe de réalité conduit d’ailleurs à s’interroger de la pertinence des lois de l’offre et de la demande à un bien qui ne peut être stocké. Un simple tour d’horizon des expériences de libéralisation en la matière, intégralement soldées par l’échec (multiplication des défaillances, hausse exponentielle des tarifs…), où le public est désormais partout réintroduit, aurait dû contraindre les Etats membres à faire machine arrière.
L’Union européenne, gouvernée par la droite, doit cesser d’assimiler les tarifs réglementés de l’énergie à une aide d’Etat, alors qu’elle ne fait rien pour arrêter le dumping social à l’œuvre partout sur le continent.
Faire état de l’inadéquation de la politique énergétique européenne ne dédouane pas ce gouvernement pour autant. Il est inacceptable d’avoir accepté et encouragé de la sorte le sabordage de l’un de nos principaux avantages compétitifs. Car aucune résistance, aucune exigence n’a été opposée aux instances européennes. Comme à l’ordinaire, la droite française se pare des contraintes européennes pour accomplir ses rêves les plus fous.
Les fondements d’une alternative existent et sont au cœur des propositions du Parti Socialiste : nous porterons nos efforts sur le développement des interconnexions électriques européennes, pour renforcer la stabilité des systèmes électriques et favoriser les coopérations entre opérateurs européens, sur la pérennisation de notre production énergétique et la promotion d’alternatives, avant tout celle qui consiste à renforcer les économies d’énergie.
Les défenseurs de ce projet de loi nous objectent qu’il contraindra à une plus grande sobriété énergétique, par le renchérissement du coût de l’électricité. Cette version punitive de la transition énergétique n’est pas la nôtre. Nous prônons une autre voie, celle d’une « croissance saine », qui permettrait de faire bénéficier nos concitoyens d’un tarif abordable pour leurs besoins vitaux en gaz ou en électricité, et d’augmenter les tarifs quand la consommation dépasse ce seuil. En parallèle, à l’instar de ce qui a été mis en place au Québec, un dispositif pourrait permettre de rémunérer directement l’économie d’énergie réalisée par rapport à l’exercice précédent.
Il est encore temps de changer la donne, de refuser d’abandonner notre pays et nos concitoyens à une précarisation énergétique inéluctable, et de remanier ou abandonner ce texte.
A plus long terme, et plutôt que la mise en place de ces situations ubuesques de mise en concurrence forcenée, c’est une révision complète de la politique communautaire qu’il nous faut viser. Il est temps que la droite européenne cesse de faire de la concurrence le dogme absolu de l’Union européenne, pour remettre la solidarité en son cœur. Plus largement, la puissance publique doit se réapproprier l’ensemble des grandes infrastructures d’intérêt continental, comme les chemins de fer ou les équipement de distribution d’énergie.
Échapper à la dictature du court terme, voilà notre objectif. Cela demande du courage, de la volonté politique et une véritable ambition pour l’Europe et la France.
Les commentaires récents